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VEUVAGE BLANC

« Et ce jour-là ne lurent-ils point plus avant… »

Tenant à ce porte-cigares et s’en inquiétant, dans la soirée le général revint. On l’avait retrouvé. Un instant il demeura avec toute la famille réunie au jardin autour des verres de citronnade. Un détour de l’entretien lui donna l’explication de la petite scène du tantôt. Depuis qu’était décidée l’expatriation de Claude, sa cousine, quotidiennement, lui donnait une leçon d’anglais. Et ce livre vers lequel le général avait vu les deux têtes inclinées et rapprochées, c’était la classique Histoire d’Angleterre d’Olivier Goldsmith.

Le chapitre qu’en ce jour avaient lu les deux jeunes gens était-il celui des amours de la belle Rosemonde et du roi Henri Plantagenet ? Peut-être. Après que chacun se fut retiré pour dormir, Louise s’accouda à sa fenêtre ouverte. Souvent ainsi, assez tard, elle demeurait à respirer les parfums qu’exhalent à cette heure les fleurs ivres de tout ce soleil qu’elles ont bu. Elle aimait écouter le concert strident des cigales au fond des blés mûrissants, le chœur mélancolique des grenouilles au bord des eaux mortes, et ces bruissements vagues, ces mystérieuses rumeurs nocturnes de la terre qui se ranime après son épuisement sous les ardentes caresses de la chaleur du jour. Loin d’en être attristée, dans ces ténèbres vibrantes et chaudes s’épanouissait son âme.

Elle s’abandonnait à une communion intime, profonde, avec la nature vivifiante. Et de faibles sourires venaient éclairer ses pensées si graves. Et des voix lui parlaient, dont, bien que ce fût en une langue inconnue, elle éprouvait de la consolation.

Ce soir-là plus qu’aucun autre encore ce fut ainsi. Pour la première fois depuis le drame qui les avait si brutalement fauchés, il lui sembla que refleurissaient ses vingt ans.

Entendant des pas dans l’ombre, Louise se pencha