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VEUVAGE BLANC

cents francs… Pour être exact, trois mille six cent soixante-six francs et soixante-six centimes… Le budget a de ces plaisantes précisions. Pour ma veuve se trouverait ainsi doublé mon médiocre héritage, et je serais infiniment heureux qu’après ma mort cette bien petite aisance pût assurée à la fille d’un ancien compagnon d’armes, réduite par la sévérité du sort à ne compter que sur son travail.

Louise de nouveau voulut parler.

— Pas un mot, je vous en prie, dit-il doucement, avec autorité néanmoins, en lui posant la main sur le bras. Vous alliez protester de votre fierté, n’est-ce pas ? Je la connais, ma chère enfant, et je l’admire. Je connais votre vaillance, votre fermeté d’âme dans l’adversité. La société cependant n’est pas organisée pour permettre aux femmes de certaine condition de gagner leur pain. Si peu que vous connaissiez encore les laideurs de la vie, vous n’ignorez pas de quelles difficultés est hérissé le chemin d’une femme de votre âge livrée à ses seules forces. Eh bien ! par surcroît aux faibles avantages positifs que présenterait mon… ma combinaison, j’en vois un autre de nature morale : celui d’une protection toute paternelle…

Ici ce fut lui-même qui s’interrompit par une légère hésitation à formuler sa pensée :

— Vous me comprenez bien, mon enfant ?… Vous comprenez que j’ai pour unique ambition de remplacer de mon mieux celui que vous avez perdu ?

Respectant la rougeur qui était montée au visage de Louise, un instant il détourna d’elle ses yeux et très vite il continua :

— Cette protection, ainsi va le monde, vous, serait acquise par le seul fait de porter mon nom. Ce nom est honorable ; je me suis efforcé de lui donner quelque lustre. Si vous me faites l’honneur de l’accepter, c’est moi qui me tiendrai pour l’obligé,