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VEUVAGE BLANC

tine. Mais voilà qui ne se rencontre guère dans les camps. Lorsque j’ai connu votre isolement, lorsque se sont révélés à moi votre mérite et votre grâce, j’ai pensé combien j’aimerais que cette fille adoptive ce fût vous.

Elle fit un mouvement pour parler. Mais du geste il l’invita à garder le silence.

— Un instant, oui, j’ai caressé ce rêve… subordonné, cela s’entend, à votre consentement. Malheureusement ma volonté ainsi que la vôtre n’y suffiraient point. Il faudrait que je pusse prouver vous avoir donné des soins pendant un certain nombre d’années. C’est absurde, c’est stupide, mais hélas ! c’est ainsi.

Vivement, avant qu’elle eût le temps de rien dire il ajouta :

— Reste donc un moyen, un seul pour vous, demander d’associer à mes cheveux gris vos blonds vingt ans.

Le général s’éclaircit la voix qui tout d’un coup se voilait.

— Ce moyen présenterait un double avantage. Pardonnez-moi d’aborder le chapitre de ces réalités que personne ne peut se donner le luxe de méconnaître. Vous qui êtes la raison même, vous le savez comme moi… Donc, je ne possède qu’un très modeste avoir ; cette petite terre de la Saulaie, que j’aime pour y être né, plus quelques économies réalisées depuis mon accession aux grades supérieurs, étant sobre dans mes goûts et n’ayant aucune charge. Mais après moi…

Derechef il chassa l’enrouement. Une faible rougeur vint aussi colorer le mâle visage basané, et c’était touchant, ces marques de timidité chez celui qui jamais n’avait baissé le front sous la mitraille.

— Après moi ma veuve jouirait d’une pension de l’État, insaisissable et incessible, de trois mille six