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VEUVAGE BLANC

position qu’il lui donne ? Jamais de la vie : elle est bien trop fière. Et si elle a consenti, c’est qu’elle l’aime… Ne ris pas, Claude, je t’en prie, ne ris pas… tu me ferais de la peine. Bien sûr, ce n’est pas de l’amour à en faire du roman. Comment dirai-je ?… C’est tellement difficile à expliquer, et pourtant je le sens.

« Aussi, d’entendre faire des gorges chaudes, dont il faudrait être bien bouchée pour ne pas comprendre le sens, je sors de ma peau, sans pourtant trop aller contre, car enfin, pour parler comme Julie, ce ne serait pas le premier ménage auquel il arriverait malheur, même sans la circonstance atténuante des quarante ans de trop. Soit. Mais, je le répète, il y a quelque chose dans ce ménage qui me semble le différencier totalement des autres. Louise d’ailleurs est la loyauté même : dès qu’elle s’est engagée, c’est en connaissance de cause, et elle fera honneur à sa parole, j’en jurerais comme de moi-même.

« Il va sans dire, mon cher Claude, que tout ce que je te confie ici, la retenue séant à mon âge et à mon sexe, selon les solennelles expressions de papa, m’empêche de le discuter en société. Voilà bien dont j’enrage, car ainsi dois-je laisser passer cent sottises.

« Étant destinée, au surplus, à coiffer sainte Catherine, j’ai dessein de ne point m’éterniser dans cet état amphibie. Je suis décidée à m’émanciper, mon cher, je t’en préviens. Honni soit qui mal y pense ! Papa lèvera les bras au plafond, maman s’exclamera que c’est vraiment bien malheureux ; puis ils s’y feront, ayant bien trop de sens pour ne pas, au fond, partager ma façon de voir.

« Mais me voici loin de l’objet de cette lettre…

« Ils ont donc été mariés sur les neuf heures du matin à la mairie, où nous avons dû essuyer un speech du père Lehupier, je ne te dis que ça. Puis