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Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/164

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s’élever jusqu’à un certain point. Loin que les études de sa jeunesse puissent lui être utiles, elles ne servent qu’à former un obstacle à son avancement, & à l’éloigner de la vérité. La philosophie scolastique est un poison qui trouble l’esprit & le rend incapable de cette justesse qu’il faut dans les raisonnemens, & qui ne s’acquiert que par une profonde méditation.

Il est cependant plusieurs François, qui, sans aucun secours, s’élevent à un degré éminent. Il faut qu’ils aient d’autant plus de génie & d’imagination, qu’outre l’ignorance, ils ont à vaincre les préjugés de l’enfance, & ceux de l’éducation que leur ont inspiré ces premiers maîtres. Tu rirois, mon cher Isaac, si je t’écrivois quelques-unes des theses philosophiques, sur lesquelles on exerce les écoliers dans ce pays. En voici une des plus considérables d’une école tenue par des moines [1].

Dieu peut avoir créé le monde, & le monde être éternel : en voici la preuve. Il n’est point de tems dans Dieu : en lui l’effet suit toujours la volonté. Supposons que Dieu eût voulu que le monde eût été de tout tems, le monde auroit donc pu l’être. Un enfant comprend qu’une chose ne peut passer du non-être à l’être, sans avoir eu un commencement. Ainsi le monde a été fait, il faut qu’il y ait eu un tems où il n’ait pas été. Donc il n’est pas éternel. C’est dans des subtilités de cette espece, & des raisonnemens aussi chimériques que les jeunes gens passent le temps de leurs études ; & après avoir travaillé plusieurs années, ils se trouvent aussi ignorans qu’ils l’étoient au commencement.

Porte-toi bien, mon cher Isaac. Je réparerai à la premiere lettre le sérieux

  1. L’école des Thomistes.