Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/309

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point de Suisse : point d’or, point de fille de l’opéra. Il étoit pénétré de la vérité de ces deux proverbes, & croyoit le dernier beaucoup plus vrai que l’autre. L’amour eut pitié de ses peines. La Petit-pas étoit priée à souper dans une maison de campagne auprès de Paris. Au sortir de l’opéra, Pierrot partit avec elle pour la servir à table ; mais quelle fut la surprise du chevalier, lorsqu’il reconnut que celui qui donnoit ce soupé étoit le lieutenant-colonel du régiment dans lequel il étoit capitaine. Il ne savoit à quoi se déterminer.

S’il s’absentoit, il se mettoit dans le cas d’être renvoyé : s’il servoit à table, il craignoit d’être reconnu. Il prit ce dernier parti : il crut que déguisé de la façon qu’il étoit, le lieutenant-colonel ne feroit aucune attention à la ressemblance de Pierrot et du chevalier de S***. Il fut cependant reconnu. La Petit-pas lui sut bon gré de son stratagême. Il étoit venu pour la servir ; il se mit à table avec elle : & après le soupé, elle le reconduisit dans son carosse. Pierrot passa la nuit avec sa maîtresse, qui le trouva apparemment aussi habile amant que zélé domestique. Ils furent dans la suite très-unis tous les deux ; & l’officier jouit d’un bonheur paisible, jusqu’au moment qu’il fut obligé de retourner à sa garnison.