Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/308

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avec les filles de l’opéra. La difficulté d’être heureux, & l’envie d’être auprès de sa maîtresse, le firent recourir à un expédient assez extraordinaire. Il n’avoit jamais parlé à la Petit-pas, & n’en étoit point connu : son cœur s’étoit enflammé en la voyant représenter. Il résolut de se mettre domestique chez sa maîtresse. Ce projet lui parut excellent : il ne douta pas qu’il ne pût profiter de quelque occasion, & de se faire connoître dans la suite à son avantage. Il entra chez elle en qualité de laquais, & devint de capitaine dans le régiment de C***, premier domestique d’une chanteuse.

Il la servoit avec une attention infinie ; elle s’applaudissoit d’avoir fait une aussi bonne acquisition. Pierrot ne bougeoit de la chambre de madame : il prévenoit ses souhaits : elle étoit obéie avant d’avoir commandé.

Quatre ou cinq jours s’écoulerent sans que le chevalier fût plus avancé. Le bonheur même qu’il avoit de voir la Petit-pas, étoit troublé par bien des amertumes. Il venoit un nombre de petits-maîtres visiter la chanteuse : il falloit que Pierrot restât dans l’anti-chambre, où il entendoit rire, chanter & folâtrer. Quel supplice pour un amant tendre ! Il étoit pourtant obligé d’avaler ces couleuvres. Point d’argent,