Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/82

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Les hommes, mon cher Isaac, ont été de tout tems les mêmes. Dans les siécles passés, la noble émulation a servi d’aiguillon aux grands génies, & la basse jalousie a été le partage des esprits vils & rampans. Il en est de même aujourd’hui.

Il arriva hier ici, dans le fauxbourg saint Martin, une aventure assez plaisante. Deux jeunes mousquetaires soupoient avec leurs maîtresses dans une maison dont la réputation n’étoit point en odeur de sainteté. Le commissaire du quartier s’y étant transporté, trouva les mousquetaires à table avec leurs princesses. Il procéda d’abord, selon le devoir de sa charge ; & après avoir griffonné du papier, il étoit sur le point de se saisir des filles.

Lorsqu’il voulut faire signer le procès-verbal aux mousquetaires, qui, pendant qu’il écrivoit, avoient eu le tems de se consulter, un d’eux s’approcha des filles, l’autre éteignit la chandelle ; & mettant l’épée à la main, cria tue, tue. Le commissaire & ses archers mourant de peur, & craignant de se blesser mutuellement, se mirent ventre à terre, pour éviter la rencontre des épées qu’ils croyoient voltiger dans la chambre. Les mousquetaires gagnerent la porte, emmenerent les deux donzelles ; & en sortant enfermerent à clef le commissaire dans la chambre. Lorsqu’il