Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/128

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homme, & d’avoir des passions, rien n’est si commode que de boire, manger & dormir. Car, quant aux prétendues austérités dont nous faisons parade chez les gens du monde, ce sont des choses auxquelles on s’accoutume aisément. On s’habitue à avoir les pieds nuds comme le visage & les mains. Le défaut de linge est une coutume qui ne coûte pas huit jours de soin : il n’est aucun religieux, qui, trois mois après sa réception, soit moins à son aise dans son froc, qu’un petit maître dans son habit galonné. Mais l’on ne peut jamais se réduire à cette obéissance servile qui nous range au rang des bêtes, en nous laissant les passions & les sentimens des hommes ; qui nous interdit même la liberté de penser ; qui nous fait un crime d’appercevoir la raison qui cherche à nous éclairer.

Ce religieux auroit continué plus longtems le portrait qu’il me faisoit de sa situation, lorsque j’entendis sonner la même cloche qu’il l’avoit appellé quelque tems auparavant au réfectoire. Voilà, me dit-il, l’heure de rentrer dans ma cellule : il faut que j’aille me coucher. Quelque envie que j’aye de veiller & de profiter de votre compagnie, je suis forcé de vous quitter. Le gardien dans une demi-heure ira visiter dans les chambres si l’on est couché. Comme il m’en veut depuis long-tems, il seroit