Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/42

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famille où la fierté se puise avec le sang. Son pere, homme d’une vanité ridicule, ne vouloit avoir que de grands chevaux, de grands domestiques, de grands appartemens, &c. Sa table étoit servie avec de grands plats, de grandes assiettes, &c. Il choisit une femme extrêmement grande, & refusa d’en épouser une beaucoup plus riche, mais plus petite. Lorsque quelqu’un lui parloît, il s’élevoit imperceptiblement & peu-à-peu, sur la pointe des pieds pour paroître plus grand.

Voilà, je te l’avouerai, une grandeur bien ridicule, selon moi. Combien est méprisable aux yeux d’un philosophe un homme qui fait consister son mérite dans la hauteur de ses chevaux, & dans celle de ses domestiques ! C’est pourtant là sur quoi est fondée une partie de la gloire des grands. Leur génie même & leur esprit réside dans leurs richesses. Dépouillez certain seigneur des habits superbes dont il est couvert ; mettez le dans un état à ne pouvoir plus parler de son équipage, d’une partie de chasse, d’un soupé poussé bien avant dans la nuit : vous ne verrez plus qu’un malotru, mal fait, mal bâti, & de la taille duquel le tailleur avoit caché les défauts sous un amas de galon ; le perruquier, réparé la figure & la physionomie,