Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

huîtres ; ce mets le détermine pour le vin de Champagne. Mais, dira-t-on, il était libre de choisir du bourgogne. Je dis que non : il est bien vrai qu’un autre motif, qu’une autre envie plus puissante que la première pouvait le déterminer à boire de ce dernier vin : eh bien, en ce cas, cette dernière envie aurait également contraint sa prétendue liberté.

Notre même raisonneur, en entrant aux Tuileries, aperçoit une jolie femme de sa connaissance sur la terrasse des Feuillants ; il se détermine à la joindre, à moins que quelque autre raison d’intérêt ou de plaisir ne le conduise dans la grande allée. Mais, de quelque côté qu’il choisisse, ce sera toujours une raison, un désir, qui le décidera invinciblement à prendre l’un ou l’autre parti, qui contraindra sa volonté.

Pour admettre que l’homme fût libre, il faudrait supposer qu’il se déterminât par lui-même ; mais s’il est déterminé par les degrés de passions dont la nature et les sensations l’affectent, il n’est pas libre ; un degré de désir plus ou moins vif le décide aussi invinciblement qu’un poids de quatre livres en entraîne un de trois.

Je demande encore à mon dialogueur qu’il me dise qu’est-ce qui l’empêche de penser comme moi sur la matière dont il s’agit ici, et pourquoi je ne peux pas