Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/32

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me déterminer à penser comme lui sur cette matière. Il me répondra sans doute que ses idées, ses notions, ses sensations le contraignent de penser comme il fait. Mais de cette réflexion qui lui démontre intérieurement qu’il n’est pas maître d’avoir la volonté de penser comme moi, ni moi celle de penser comme lui, il faut bien qu’il convienne que nous ne sommes pas libres de penser de telle ou telle manière. Or, si nous ne sommes pas libres de penser, comment serions-nous libres d’agir, puisque la pensée est la cause, et que l’action n’est que l’effet ; et peut-il résulter un effet libre d’une cause qui n’est pas libre ? Cela implique contradiction.

Pour achever de nous convaincre de cette vérité, aidons-nous du flambeau de l’expérience. Grégoire, Daraon et Philinte sont trois frères qui ont été élevés par les mêmes maîtres jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans ; ils ne se sont jamais quittés, ils ont reçu la même éducation, les mêmes leçons de morale, de religion. Cependant Grégoire aime le vin, Damon aime les femmes, Philinte est dévot. Qui est-ce qui a déterminé les trois différentes volontés de ces trois frères ? Ce ne peut être ni l’acquis, ni la connaissance du bien et du mal moral, puisqu’ils n’ont reçu que les mêmes préceptes par les mêmes maîtres ; chacun d’eux avait donc en lui différents principes, différen-