Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/34

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l’homme sage, l’homme fou. Le fou n’est pas moins libre que les deux premiers, puisqu’il agit par les mêmes principes ; la nature est uniforme. Supposer que l’homme est libre et qu’il se détermine par lui-même, c’est le faire égal à Dieu.

Revenons à ce qui me regarde. J’ai dit qu’à vingt-cinq ans ma mère me retira presque mourante du couvent où j’étais. Toute la machine languissait, mon teint était jaune, mes lèvres livides : je ressemblais à un squelette vivant. Enfin, la dévotion allait me rendre homicide de moi-même, lorsque je rentrai dans la maison de ma mère. Un habile médecin, envoyé de sa part à mon couvent, avait connu d’abord le principe de ma maladie. Cette liqueur divine, qui nous procure le seul plaisir physique, le seul qui se goûte sans amertume, cette liqueur, dis-je, dont l’écoulement est aussi nécessaire à certains tempéraments que celui qui résulte des aliments qui nous nourrissent, avait reflué des vaisseaux qui lui sont propres dans d’autres qui lui sont étrangers ; ce qui avait jeté le désordre dans toute la machine.

On conseilla à ma mère de me chercher un mari, comme le seul remède qui pût me sauver la vie. Elle m’en parla avec douceur, mais, infatuée que j’étais de mes préjugés, je lui répondis, sans ménagement,