Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/36

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passion dominante était d’avoir la réputation d’être saintes avec une envie démesurée de faire des miracles. Cette passion la dominait si puissamment, qu’elle eût souffert, avec une constance digne des martyrs, tous les tourments imaginables, si on lui eût persuadé qu’ils pouvaient faire ressusciter un second Lazare ; et le Père Dirrag avait, par-dessus tout, le talent de lui faire croire tout ce qu’il voulait.

Éradice m’avait dit plusieurs fois, avec une sorte de vanité, que ce Père ne se communiquait tout entier qu’à elle seule ; que dans les entretiens particuliers qu’ils avaient souvent ensemble chez elle, il l’avait assurée qu’elle n’avait plus que quelques pas à faire pour parvenir à la sainteté ; que Dieu le lui avait révélé dans un songe, par lequel il avait connu clairement qu’elle était à la veille d’opérer les plus grands miracles, si elle continuait à se laisser conduire par les degrés de vertu et de mortification nécessaires.

La jalousie et l’envie sont de tous les états : celui de dévote peut-être en est le plus susceptible.

Éradice s’aperçut que j’étais jalouse de son bonheur, et que même je paraissais ne pas ajouter foi à ce qu’elle me disait. Effectivement, je lui témoignais d’autant plus de surprise de ce qu’elle m’apprenait