Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/105

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femme tant admirée de son mari lui rendait estime et amour, et ne distribuait au dehors, — fût-ce aux plus tendres privilégiés — que le trop plein d’une exubérante bonté.

Le révérend Lovely écoutait attentivement son complaisant interlocuteur. Gabriel prit le parti d’en faire autant. Jamais le soupçon ne vint à l’idée de M. de Chandoyseau que le sujet qu’il traitait pût ne leur offrir qu’un intérêt médiocre. Il ne tarissait pas.

Dompierre, en veine de méchanceté, crut devoir souligner son dire, de-ci de-là, par de légers signes d’acquiescement. Il poussait de temps à autre un petit bougonnement favorable. Il vit que le révérend lui en savait gré. Il insista, il parla même. Ce fut au tour du révérend d’adopter ses signes d’acquiescement et son bougonnement favorable. Le clergyman s’entraînait, s’échauffait, s’enhardissait. Bientôt il n’y tint plus et parla. M. de Chandoyseau, étonné, soudain se tut et se contenta d’écouter.

Ce fut une scène de passion bien touchante. Ce pauvre révérend se lança tout d’abord dans des généralités à perte de vue. Il citait d’innombrables versets, et parlait de la Femme dont il esquissa le rôle sublime et l’importance sociale ; puis la Pécheresse l’absorba et il rappela de célèbres paroles d’indulgence ; enfin il ne se posséda plus, et chaque expression issue de ses lèvres avait trait, à ne pas s’y méprendre, à Mme de Chandoyseau. Il prononça son nom. Il vanta principalement son éloquence qu’il considérait comme un don divin ; en second lieu, son intelligence qui était évidemment supérieure par son agilité et la grande foule d’objets qu’elle embrassait sans aucune difficulté ni lassitude ; enfin sa grâce persuasive et insinuante, comparable à un parfum près duquel on ne peut point passer sans en être pénétré agréablement.