Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/106

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Comme il se sentait emporté sur une pente irrésistible, il crut se modérer en ajoutant qu’il fallait se demander si l’excès dans la perfection ne contenait pas quelque chose de redoutable.

— Je le crois, en effet, dit M. de Chandoyseau, qui eût préféré, quant à lui, que sa femme eût « l’intelligence » moins vive et moins éparse, et lui laissât un peu de repos.

— N’est-ce pas, monsieur ? reprit avec feu le clergyman interprétant la réflexion de M. de Chandoyseau dans son sens à lui, et s’imaginant que le pauvre mari pliait parfois sous le fardeau d’une trop tyrannique passion.

M. de Chandoyseau, qui n’entendait point subtilité, ne contredisait pas, et continuait à son tour, en petits ronronnements inarticulés, le rôle d’approbateur que ses deux partenaires avaient tenu successivement.

Le révérend Lovely s’attendrit ; la compassion afflua à son cœur excellent et troublé. Il prit la main de M. de Chandoyseau et la serra. Dans ce moment-là, il se tut. C’était alors, assurément, que le besoin de confesser sa flamme se faisait sentir le plus impérieusement ; et le pauvre martyr se clouait la bouche pour ne pas avouer au mari d’Herminie qu’une même flèche fatale les avait frappés l’un et l’autre et qu’ils pouvaient marcher la main dans la main, portant aux épaules le poids douloureux et cher d’une précieuse croix. Les larmes lui mouillèrent la voix quand il la recouvra. M. de Chandoyseau ne comprenait pas un traître mot à la scène ; il se pencha du côté de Dompierre :

— Dites donc ! fit-il, mais qu’est-ce qu’il a, notre pasteur ?

— Il est trop bon ; c’est une espèce de saint homme, quoique protestant !…