Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/12

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c’est tout ce que vous aviez pu observer de sa personne, car l’inconnue s’était hâtée de le rejoindre dès qu’elle l’avait aperçu au tournant d’une allée…

— Vous vous moquez de moi !

— Non pas ! Je veux vous prouver seulement que je me suis acquitté convenablement du rôle que vous étiez en droit d’exiger de moi, en qualité de compagnon de voyage : je vous ai écouté. N’aviez-vous pas, en retour, accordé la même attention complaisante à mille dissertations de ma part qui ne vous touchaient pas plus en réalité que ne le faisait à moi la confidence de vos amours ? Le premier besoin de l’homme, peut-être avant le boire et le manger, est de parler de soi devant quelqu’un qui ait l’apparence de l’entendre ; encore préférerait-il parler à un sourd que se taire…

— Mais quand je vous parle de mes préoccupations au sujet d’une femme, ce ne sont pas précisément mes préoccupations, ce sont celles d’un homme ; elles doivent avoir un certain caractère de généralité qui ne peut vous laisser indifférent ?

— Ce n’est pas le caractère de généralité qui fait que les hommes sont touchés en effet par les communications revêtues de cette marque ; c’est que, dans le caractère général, leur petit cas personnel est compris. Dans toute confidence amoureuse, chaque individu reconnaît son amour. Ne vous ai-je pas confié que je ne pouvais nulle part reconnaître le mien ?… Ah ! vous ne m’avez pas écouté ! Vous ne m’écoutez pas davantage en ce moment-ci ; vous regardez de droite et de gauche comme un chien qui a perdu la piste… Vous êtes un mauvais compagnon de voyage ! Et moi qui étais tout prêt à vous poursuivre le récit de la quatrième matinée aux jardins du Pincio !…

Les bagages de ces messieurs étant chargés sur l’impériale, l’omnibus s’ébranla lourdement. Gabriel