Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/141

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a-t-il raison : pourquoi vouloir donner à l’amour, dont nous ne sommes seulement pas dignes de prononcer le nom, une forme délimitée qui ne saurait que l’avilir ?… Pourquoi ne pas user de toutes les choses du monde qu’à la manière d’un tremplin qui vous élance vers le ciel ?

Il lui baisait les bras, et elle riait de la tournure de sa pensée. Il n’osait pas lui dire ce qu’il savait de la douleur intime de l’original ascète. Il n’avait plus le courage de plaisanter ses manies, et il allait essayer de détourner le sens de la conversation, lorsqu’ils entendirent un peu de bruit du côté de leur portique, et virent une main qui soulevait le rideau de lierre. Mme Belvidera très émue serrait la main de Gabriel ; il attendait lui-même avec anxiété. Le lierre fut écarté ; une jolie tête parut, très reconnaissable, malgré la faible lumière ; c’était la belle Carlotta.

— Ah ! fit-il tout bas, petite coquine de Carlotta ! je gage que tu ne t’enfermes pas à double tour avec les fleurs pour en tresser des guirlandes à la madone ou à ton saint patron !

— Attendez donc ! dit Mme Belvidera, je crois qu’il y a quelqu’un avec elle…

— Parbleu, je le crois bien ! et comme ce n’est pas son amoureux officiel, je comprends la mauvaise mine que faisait celui-ci tout à l’heure, en longeant les buis.

— Ah ! je donnerais je ne sais quoi pour savoir qui est avec elle !

— C’est quelqu’un que je ne plains pas, et qui a du goût assurément.

— Le fait est que cette fille est d’une beauté !… Ha ! ha ! ha ! s’écria-t-elle, prise tout à coup d’un fou rire si violent que Gabriel dut lui poser une main sur la bouche de peur qu’elle ne se découvrît ; et elle lui indiquait le petit trou dans le feuillage : Regardez donc !