Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/153

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Le salon s’était à peu près dépeuplé. Le révérend était à bout de paroles ; Mme  de Chandoyseau flattait l’air mollement de son éventail quasi fermé : dans le silence, on entendit une grosse mouche se lever et faire une demi-douzaine de zigzags en bourdonnant. Puis, un mot inattendu, inouï, stupéfiant, fut prononcé presque à haute voix par le clergyman. Gabriel sursauta, mistress Lovely fut tout à coup debout, et Solweg, avec un à-propos admirable, toucha enfin le piano dont les notes harmonieuses couvrirent la confusion générale. Le révérend, dans un mouvement d’affolement, s’était oublié jusqu’à prononcer sur le ton le plus passionné le petit nom de Mme  de Chandoyseau :

— Herminie !

Mistress Lovely, levée soudain, comme un spectre, empoigna son mari par le bras et l’entraîna dehors. Solweg n’interrompit pas la mélodie qu’avaient commencé d’égrener ses doigts agiles ; sa sœur aînée n’eut pas un mouvement, et Dompierre renversa la tête en arrière sur le dossier de son fauteuil, dans l’attitude de la plus grande nonchalance, suivant des yeux, vers le plafond, les lignes brisées que décrivait la mouche bourdonnante.

Non pas par la porte que tout le monde prenait communément pour entrer au salon et en sortir, mais par une porte donnant dans la salle à manger et située juste derrière Gabriel Dompierre, Mme  Belvidera entra. Elle eut la surprise de trouver le jeune homme sur ses pas ; poussa un petit « ah ! » et dit aussitôt avec simplicité :

— Mon Dieu ! comme il fait sombre chez vous !

Son mari la suivait ; elle se retourna vers lui et dit :

— Monsieur Dompierre, mon mari.