Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/152

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de tapisserie le fascina de nouveau et il demeura fixé sur place. « Ils vont venir là ! ils vont venir là, forcément », lui répétait une sorte de voix intérieure. Ailleurs il les manquerait peut-être ; s’il remettait à ce soir, à demain, la rencontre, il n’aurait peut-être plus le courage de les voir côte à côte ; il aurait peut-être fui définitivement. Il fallait les attendre là, en face de leurs deux chapeaux posés familièrement, presque amoureusement, l’un sur l’autre.

Le révérend Lovely était aussi fiévreux que Dompierre. Celui-ci entendait sa voix sourde, son accent grotesque, que des hésitations, peut-être des réticences, entrecoupaient fréquemment. Ses gestes étaient désordonnés. Le « Malin », sous les apparences de la damnable Herminie, le faisait cruellement souffrir. Il s’agitait sur son siège, avec le malaise d’un débutant dans l’exercice de la galanterie ; et il s’efforçait de couvrir son embarras par une volubilité que brisait malheureusement sa double inexpérience de la langue française et de la langue amoureuse. Mme de Chandoyseau, tantôt alanguie, improvisait une atmosphère troublante en agitant son éventail, levant son menton et offrant son cou et sa gorge à l’air agité ; tantôt penchée d’un brusque élan du côté du pauvre pasteur, l’accablait de sa perfide séduction.

Mistress Lovely somnolait sur un magazine anglais, à quelque distance de son mari. Sa tête à cheveux gris, d’une insigne laideur, avait à intervalles réguliers une défaillance en avant qui faisait glisser ses lunettes à l’extrémité de son nez, et la réveillait à demi. Elle relevait la taille, rajustait ses lunettes, et redressait la revue dont elle semblait reprendre assidûment la lecture. Mais l’édifice s’affaissait presque aussitôt et le sommeil impitoyable semblait jouer comme un enfant cruel avec cette tête disgracieuse.