Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/162

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une chaîne et un bijou d’or. Un châle noir, à la mode du pays, était toutefois jeté sur cette richesse ; mais elle avait hâte de le quitter. L’admiration fut au comble lorsqu’on la vit s’installer délibérément non pas à l’avant, mais au meilleur endroit des banquettes des premières, où elle s’assit et se croisa les bras, en répondant gentiment, d’un sourire aisé, aux bonjours et aux marques d’approbation des voyageurs. C’est alors qu’on s’aperçut qu’elle avait la tête garnie d’une résille de « vraie » dentelle, qu’elle écarta coquettement au-dessus de la naissance des cheveux dont l’ombre épaisse était agrémentée d’une rose rouge.

Sa grande beauté, avivée de la pointe d’insolence de sa toilette et de sa contenance au milieu d’un monde élégant, était si remarquable, que nombre d’étrangers qui ne la connaissaient pas se levèrent et s’approchèrent avec des mines curieuses et béates.

— Ah ! ça, ma belle, s’écria Mme de Chandoyseau, tu as donc fait un héritage ?

Carlotta, qui n’entendait pas le français, ne répondit mot. Quelqu’un lui ayant traduit l’étonnement de Mme de Chandoyseau, elle se contenta de hausser l’épaule, avec la même indifférence dédaigneuse qu’elle avait eue lorsque Mme Belvidera et Dompierre l’avaient avertie des airs menaçants de son amoureux jaloux.

— Et où vas-tu comme cela ? lui demanda-t-on.

— Ça dépend, dit-elle, je n’en sais rien.

C’était dit sur un ton si nettement significatif de l’intention de n’être pas importunée, que personne n’osa insister.

— Monsieur le statisticien, dit en souriant le chevalier Belvidera, gagne-t-on donc beaucoup d’argent dans le commerce des fleurs ? Expliquez-moi ce qu’à Paris, par exemple, une honnête fille….

— Heu ! heu !… fit Dompierre, mon Dieu, cela dépend