Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/163

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comme dit Carlotta elle-même…. Et il entama avec le plus grand sérieux, à cause de la présence de Lee qui devait s’y entendre mieux que lui dans l’occasion présente, une courte conférence sur le commerce des fleurs.

Il ne donnait à ses paroles que tout juste l’attention nécessaire à ne pas induire en erreur l’homme d’État, car Mme Belvidera, qui était la seule personne avec lui, sans doute, à connaître la source des revenus de Carlotta, l’écoutait de loin en le regardant avec ces yeux étranges et terribles de la femme qui se réjouit d’un secret. Il parlait de la culture des lilas autour de Paris et de la prodigieuse consommation des roses ; et il se sentait très intimement effrayé du sombre plaisir que prenaient ces yeux à la pensée qu’elle savait avec lui une chose que tous ignoraient autour d’eux, et qu’ils ne dévoileraient ni l’un ni l’autre, et dont ils pourraient effleurer tous les alentours, comme lui-même le faisait dans l’instant, sans laisser percevoir qu’il la sait, sans donner lieu à Lee lui-même de soupçonner qu’on a eu vent de son intrigue avec la marchande de fleurs. Il sentait que, pour une maladresse ou une simple imprudence commise en son présent discours, et touchant l’idylle de Lee et de Carlotta, il perdait dans l’esprit de Luisa le bénéfice même du souvenir de la journée amoureuse d’Isola Madre, car toute son attention était portée, en ce moment-ci, sur la petite volupté de l’intégrité de ce mystère.

« Qui sait, pensait-il à part lui, si ce qu’elle garde de plus cher de nos six semaines d’amour, n’est pas le léger orgueil qu’elle se fait d’avoir un secret à garder ? N’est ce pas là la maigre consolation de bien des femmes, après qu’elles ont commis contre la société ou contre leur maître un acte de liberté ? C’est ce secret-là qu’elles appellent remords ; mais qui n’a surpris