Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/204

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lons et aux chambres ; l’escalier et l’ascenseur étaient envahis par une foule de personnes rentrant du dehors, surprises par l’ouragan, portant sur leurs vêtements légers les traces de larges gouttes d’eau qui appliquaient la batiste blanche sur la chair des bras, en petites taches roses. Le vent, au dehors, continuait sa course effrénée, tordant les arbres du jardin, y renversant les tables et les chaises de fer. Au milieu de ce tohu-bohu, de ce vacarme, de ce mouvement inusité, quelques Anglaises, installées contre les vitres en face du paysage à l’aspect de déluge, avec leur boîte à couleurs et leur verre d’eau, continuaient, étrangères à toutes choses, l’aquarelle aux tons tendres commencée avant la tempête.

La longue-vue était aux mains de Solweg. Gabriel remarqua qu’elle la tenait exclusivement dirigée du côté de Cadenabbia. Sa figure exprimait une anxiété très visible. Il attendit qu’elle eût fini. Elle le reconnut et dit, avec une subite pointe de rose sur les joues :

— Ah ! c’est vous, monsieur, tenez !

Et elle lui tendit la lunette.

— Je vous remercie, mademoiselle, mais je ne voudrais pas vous priver…

— Oh ! monsieur, c’est affreux à voir, ces pauvres gens…

— Est-ce qu’on peut distinguer… suffisamment pour ?… dit-il sans achever une phrase qui marquait trop son inquiétude particulière, et avant de mettre l’œil à l’objectif.

— Oh ! on ne voit que confusément !… Cette longue-vue est bien mauvaise, n’est-ce pas, monsieur ?

— En effet !… mais je crois qu’il s’est passé quelque chose de fâcheux là-bas… Il y a deux barques qui semblent s’attarder à chercher… Je vois des hommes jeter