Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/203

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-être a-t-il fait chavirer la barque la plus heureuse, et le voilà parti à présent toucher son enjeu entre les mains de quelque formidable partenaire de son acabit et qui se moque des vies humaines comme je me moque de la mouche que j’écrase en ce moment entre le rideau et la vitre !

— Ne dites pas cela ! ne faites pas l’oiseau de mauvais augure, vous ! Ces malheureux petits canots dansent d’une façon inquiétante… Ici, ils sont tous rentrés ; mais là-bas, du côté de Cadenabbia et de Menaggio, regardez-les, il y en a à plus de cent mètres du bord. Et il y a des coups de vent terribles. Quelle secousse ils ont dû éprouver au passage du gros de la tempête ! J’en vois deux ou trois qui semblent les uns contre les autres ; est-ce que quelqu’un ne serait pas tombé à l’eau ? Les malheureux ! Mais ils ne peuvent pas tenir contre de pareilles rafales !… Est-ce que vous avez une longue-vue ?

— Non ! en bas, dans le hall, il y en a une.

Gabriel descendit quatre à quatre. Une inquiétude venait de le saisir, augmentée par l’angoisse naturelle que répandent ces jours d’orage. M. et Mme Belvidera n’étaient-ils pas dans une de ces barques ? En admettant qu’ils fussent arrivés depuis longtemps à Cadenabbia, rien ne prouvait qu’ils n’eussent pas poursuivi leur promenade, ou bien qu’ils ne fussent pas déjà réembarqués pour le retour. Une espèce de suffocation avait failli lui couper le souffle à la seule représentation du danger couru par Luisa.

Il y avait au premier étage de l’hôtel, un hall vitré donnant sur le lac, comme la chambre de Dante-Léonard-William, mais sur une plus grande étendue. Les portes claquaient dans toute la maison, les domestiques couraient ; des ordres, des appels en toutes les langues étaient échangés des corridors au hall, du hall aux sa-