Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/21

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sir tout ce qu’il voit : son hochet ou la lune ! En effet, l’homme naît positiviste ; l’enfant n’admet pas que quelque chose demeure inexpliqué. Ce n’est qu’en grandissant qu’il conçoit l’inexplicable, et accepte l’existence du mystère…

Pendant que le poète parlait, un des bateliers répondait à Gabriel :

— Celle qui chante, Signore, c’est Carlotta, d’Isola Bella. Elle est bien connue, Signore !

— Ah ?

— C’est la plus belle fille du pays. Signore !…

Des cris d’enfant couvrirent la voix du batelier, et Gabriel n’avait pas eu le temps de se retourner qu’il recevait dans les jambes, lancée à toute force, la gracieuse fillette de Mme  Belvidera.

— Luisa ! Luisa ! criait la maman, dont on aperçut la haute silhouette élégante dans l’ombre du jardin.

— Mademoiselle Luisa, bien vous a pris de venir buter contre moi, car autrement, vous seriez, à l’heure qu’il est, dans ce beau lac qui ravit volontiers à leurs mamans les jeunes filles imprudentes !…

La mère entendit M. Dompierre prononcer ces mots, et, comprenant au premier aspect de l’endroit, le danger qu’avait couru la petite Luisa, elle le remercia avec chaleur d’avoir joué si heureusement le rôle de balustrade. Elle voulut se pencher elle-même sur l’eau, à l’endroit où l’enfant se fût précipitée dans sa course échevelée, et ne put se retenir de pousser un cri. Elle s’anima par suite de sa peur rétrospective, gronda la fillette, puis l’embrassa convulsivement.

Le chant reprit dans le lointain, juste au moment où la lune, se levant au-dessus des montagnes de Luino, découvrait d’un coup la magnificence du lac Majeur sous le ciel clair. La branche septentrionale s’allongeait en face, dans un infini comparable à celui