Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/22

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de la mer ; tous les monts bleuâtres découvrirent leur pur dessin, et l’anse des Borromées montra ses trois îles : Isola Madre, Isola Bella, et derrière celle-ci, la petite île des Pêcheurs, presque invisible.

La fillette battit des mains à cette féerie soudain découverte comme par le lever d’un rideau, et sa mère jeta cette exclamation grasse, ardente et presque goulue par laquelle les bouches italiennes semblent mordre à même l’objet admiré :

Che bellezza !

— Quelle beauté ! répéta quelqu’un auprès d’elle.

Le chant s’enflait à mesure que s’élargissait la lumière. Certaines paroles en devenaient nettement distinctes, et lorsque la voix prononçait, comme terminaison d’une sorte de refrain, ce mot amore dont le sens est amour, et dont la consonance pour nos oreilles françaises évoque en même temps l’idée de mort, — merveilleux mélange ! — on eût juré que la chanteuse était tout près, bien que complètement inaperçue. « Qui sait ? pensait Dompierre en souriant à demi, peut-être mon poète a-t-il raison, et il est possible qu’il n’y ait point de chanteuse là-bas dans une barque, à l’ombre de la montagne, et que nos âmes elles-mêmes soient rendues harmonieuses en face de la splendeur de la nuit ! »

Cependant Mme  Belvidera éprouva le même désir qu’il avait eu :

— Oh ! qui chante ainsi ? demanda-t-elle.

Il lui dit ce qu’il avait appris de Carlotta, d’Isola Bella. Il augmentait sa curiosité à mesure qu’il parlait de cette fille dont la réputation de beauté était répandue. Bientôt, la barque étant sortie de l’ombre, on put la distinguer à quelques centaines de mètres de la rive… La chanteuse y était seule, et elle manœuvrait les avirons avec force et en cadence régulière. Parfois, elle