Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/210

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avaient reconnu Dompierre à la lorgnette, dans la barque.

— Qu’y a-t-il ? Qu’y a-t-il ? s’écria Mme Belvidera ; est-ce qu’il est arrivé quelque chose là-bas ?

— Là-bas ? fit-il.

Il était complètement hébété par le bonheur de la voir vivante, d’entendre sa voix. Il souriait ; il aurait voulu lui sauter au cou, l’embrasser, lui dire seulement : « Toi ! toi ! C’est toi !… » Il ne comprenait même pas pourquoi elle avait pu s’inquiéter de ce qui se passait « là-bas », c’est-à-dire de ce qui aurait pu arriver à la petite Luisa.

— Là-bas ? répétait-il, mais rien du tout, il n’y a rien !…

— Vraiment ! vraiment ! mais il dit vrai ; il a l’air heureux comme s’il arrivait d’une promenade d’agrément… Mais alors, s’il n’y a rien, qu’est-ce que vous venez faire ici par un temps pareil ? Vous êtes fou !

— Ce que je viens faire ?… Mais je ne sais pas… je ne sais pas !…

— Ne plaisantez pas tout haut, dit M. Belvidera, car tous ces gens seraient furieux ; vous leur avez donné des émotions désagréables depuis une demi-heure ; ils vous ont cru perdu ; s’ils savaient que vous n’aviez pas de motifs sérieux pour vous exposer et un homme avec vous, vous comprenez qu’ils seraient en droit de vous faire un accueil froid.

— Ah ! dit Gabriel, au diable ! mais je suis bien heureux de vous trouver là !

Il respirait avec enthousiasme ; il éprouvait une espèce d’ivresse après l’heure mauvaise qu’il venait de vivre. Il leur prenait les mains à tous les deux. Il se tenait à quatre pour ne pas faire une imprudence, ne pas dire franchement toute sa joie, ne pas dire pourquoi il était venu !