Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/25

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— Par Paolo, tiens !

— Paolo, dit le batelier, c’est son promis ; c’est lui qui a l’entreprise des fleurs. Mais il ne la battrait pas ; il l’aime trop.

— Pourquoi dit-elle qu’il la battrait ?

— Oh ! fit l’homme en dodelinant de la tête, après une hésitation, c’est une façon comme ça, un genre comme qui dirait… Ça fait que si ces messieurs et ces dames voulaient quelquefois tout de même lui acheter ses fleurs, ce soir, ça serait plus cher, quoi !

Carlotta ramassait contre elle sa magnifique cargaison.

— Combien d’argent tirerez-vous de tout cela, Carlotta ?

— Vingt lires, Signore, répondit-elle avec aplomb.

Ce nouveau mensonge enchanta tout le monde : elle triplait, au moins, la valeur de sa journée.

Dante-Léonard-William, qui avait jusque-là gardé le silence et que la rencontre nocturne semblait profondément émouvoir, s’agita tout à coup, et, tirant de sa poche trois petits billets de vingt lires chacun, il se pencha hors de la barque et les mit dans la main de Carlotta.

— Prends ceci, dit-il, non pour tes fleurs dont je ne me soucie pas, mais pour m’avoir si parfaitement donné l’image de la nuit sereine, parsemeuse de songes, de charmes et de mensonges !…

Ce geste, ce ton demi-solennel, cette générosité en faveur d’un défaut naturel et de la beauté de la pauvre fille, touchèrent vivement Mme  Belvidera, qui eût crié bravo au poète si elle ne se fût senti la gorge un peu gênée par l’impression de toute cette scène inattendue. Mais l’Anglais, qui mêlait à tout instant l’imaginaire au réel et touchait promptement à l’excentricité, exprimait à présent en une langue harmonieuse son