Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/26

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prétendu désir de ne pas survivre à la minute de féerie que lui avait fournie la marchande de fleurs, et il annonçait son dessein, appuyé d’une mimique expressive et inquiétante, de se précipiter dans les eaux qu’avait sillonnées la barque fleurie.

La petite Luisa se mit à pleurer. Mme  Belvidera confia sa crainte à Dompierre.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! que j’ai peur ! Mais, monsieur, est-ce que votre ami va se tuer ?

Cependant Carlotta partait d’un éclat de rire qui jaillit en fusée au milieu du lac silencieux.

— Rassurez-vous, madame, fit tout bas Gabriel à Mme  Belvidera, et admirez plutôt le sûr instinct de cette fille simple qui déjoue tout de suite les artifices de nos raffinements. Je gage qu’elle sente à sa seule démarche qu’un brave homme, qui ne dit rien, va se jeter à l’eau, et qu’elle se hâte de le secourir, tandis que vous la voyez qui rit à gorge déployée pour les subtiles fantaisies de notre poète, lequel n’a pas eu un seul instant l’envie de périr, malgré son désir de se figurer qu’il l’avait.

En effet, quelques strophes venues à la mémoire de Lee, l’occupaient à présent tout entier et il entremêlait, non sans à propos, de ses propres vers à des lambeaux magnifiques de Pétrarque et de Shelley. Mme  Belvidera qui était sensible au charme de la poésie anglaise, comme un grand nombre de femmes italiennes, contint son ressentiment contre l’être baroque qui l’avait un moment effrayée, et elle le félicita des belles choses qu’il disait. Il lui répondit en vers, continuant d’affecter de ne pouvoir la considérer comme une réalité vivante et de ne la tenir que pour la « Sirène » apparue à la chute du jour sur le pont de la Reine-Marguerite.

La jeune femme souriait de cette originale et gracieuse manie. Mais cette idéalisation n’était en com-