Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/259

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Quand Luisa lui parlait de ses souffrances, la pauvre petite brillait d’envie de les endurer, car elles lui semblaient douces au prix des siennes.

Mme Belvidera n’avait pas pour but de l’attendrir sur son compte : elle la savait trop éprise pour penser un seul instant qu’elle pût l’envisager, malgré tout l’étalage de ses infortunes, autrement que comme une rivale heureuse. Elle s’était seulement exécutée : elle avait fait ce qu’elle croyait nécessaire ; son amende honorable lui semblait suffisante et elle était même un peu blessée, dans son amour-propre, à voir Solweg indifférente à une démarche dont elle pouvait ne pas sentir toute l’importance, mais qui avait été, de toute évidence, très dure à remplir. Mais, au moins, elle avait espéré que la jeune fille lui en saurait gré et lui permettrait, à la suite de cela, de l’entendre, elle, à son tour, et de tenter de la soulager. Elle espérait faire accepter l’amitié qu’elle proposait de si grand cœur, et que, tout en restant muette sur le sujet qui les unissait en les séparant, Solweg semblerait lui dire, dans un baiser et avec quelques larmes : « Je comprends, allez ! que vous l’aimiez, puisque c’est lui ! »

— Solweg, dit {{Mme} Belvidera, la meilleure raison que j’ai de vous aimer, c’est que je sens que vous n’êtes pas heureuse !…

La figure de Solweg avait de petits tressaillements nerveux ; ses yeux clignotaient et rougissaient, mais elle fit un effort et prit un air étonné :

— Pas heureuse ? Mais si, madame, je vous assure que je suis très heureuse.

Luisa la regarda en souriant de ce mouvement d’amour-propre. Mais elle ne se dérida pas.

— Avec un cœur comme le vôtre, mademoiselle, est-ce qu’il est possible d’être heureuse ?