Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Solweg tenait à la main un petit mouchoir, dont elle serrait un des coins entre ses dents, en tirant dessus. Elle contraignait avec peine les sanglots qui lui montaient à la gorge. Luisa vit qu’elle comprenait le bonheur qu’il y aurait pour elle à se confier. Solweg était touchée de l’accent très sincère que l’Italienne mettait à la provoquer, de sa réelle bonté, enfin de la nouveauté qu’il y avait pour elle à trouver quelqu’un qui soupçonnât ses trésors cachés de tendresse. Cette jeune femme était peut-être le seul être au monde qui lui eût donné cette émotion, qui l’eût amenée jusqu’au bord de l’épanchement, cette grande et incomparable volupté de l’adolescence. Mais il fallait que cet être-là fût la femme qu’elle avait vue dans les bras de Gabriel, par conséquent le seul être au monde qu’il lui fût impossible, radicalement impossible d’aimer. Elle se débattait, elle était aux abois. Luisa crut un moment qu’elle allait s’abandonner, que toute son énergie se rompait. Solweg étouffait, mais pas une larme n’avait encore mouillé sa paupière. Cette lutte acharnée contre elle-même découvrait assez la haine sourde qu’elle vouait à la maîtresse de Dompierre. Elle ne voulait même pas pleurer devant elle. Celle-ci finissait par manquer de générosité et commençait maintenant à avoir une espèce de plaisir à la voir souffrir si cruellement à cause de Gabriel. Elle prenait la posture inhumaine du vainqueur. Ah ! elle s’était humiliée en vain ! elle était tombée à genoux aux pieds de cette petite ! elle avait fait pour elle le plus violent effort sur soi-même qu’elle eût accompli de sa vie ! Et l’autre l’avait laissée par terre, elle avait semblé trouver qu’elle était bien là, qu’elle ne valait pas mieux ! Elle n’avait pas eu un mouvement de pitié, sinon pour son rôle d’amoureuse, au moins pour son émoi présent, pour les égards qu’elle avait vis-à-vis d’une délica-