Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/267

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déplu ; alors vous rougirez de m’avoir seulement touchée ! Vous ferez bien : entendez-vous ? car je me suis donnée à vous et je ne vous aimais pas ; non, non, je ne vous aimais pas ! C’est lui, lui, que j’ai aimé et que je n’ai jamais cessé d’aimer. Hors de lui, mon Dieu ! mon Dieu ! dites-moi quel infernal plaisir est-ce que j’ai donc aimé !

— Tu mens ! tu mens !… Oh ! je te tuerais, pour oser dire cela !

— Mais non ! je ne mens pas. Je n’ai jamais vu clair en moi, voilà tout. Mais je veux que tu sois heureux : je te dis qui t’aime ; je te fais voir comment on t’aime. Tu dois bien comprendre que je ne t’ai pas aimé, que je n’ai été qu’une folle, moi ; quelque chose m’a fait tourner la tête…

— Quelque chose ?…

— Mais oui, je ne sais quoi ! Ce n’est pas moi qui suis tombée dans tes bras ; il y a une espèce de folie qui est passée sur nous, qui m’a jetée par terre, qui a fait de moi cette loque que je te dis…

— Luisa ! Luisa !

— Oh ! ne prends pas cette voix-là ! tu sais bien que c’est quand tu m’appelais comme cela !… Oh ! mon Dieu, prenez pitié des misérables choses que nous sommes !

Il la tenait serrée dans ses bras, et toute la taille libre de la jeune femme devait en sentir la ceinture de muscles. Elle était forcée de voir ces yeux d’eau bleue qui l’avaient tant de fois affolée et les deux brisures lumineuses de la moustache dorée dont le chatouillement avait fait jaillir tant de nuits, dans les jardins, son beau rire éperlé !

Elle était absolument anéantie ; elle ne savait plus ce qu’elle faisait ni ce qu’elle disait.

— Va-t’en ! va-t’en ! lui jetait-elle, tu me fais une peur affreuse. Je ne t’aime pas !