Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/280

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comme un voleur, et l’on est déjà à genoux avant d’avoir eu le temps de crier : au voleur !

— Cela équivaut à dire qu’il se peut faire que je devienne fou ; mais dans ce cas comme dans l’autre, je considère que ma personnalité est morte. Aussi comprenez-vous que je me défende contre cet état mental avec l’intrépidité que l’on met à défendre sa vie !

— Défendez-vous bien ! dit Dompierre, en se retirant du balcon. Je vous souhaite bonne chance !

Il passa un veston et descendit. La conversation de l’Anglais lui était presque intolérable, ces temps-ci. La rage du poète contre la passion de l’amour semblait croître depuis le voyage de Bellagio, et elle s’exerçait à tout propos avec une telle violence que Gabriel se demandait si cette haine philosophique ne provenait pas d’une sorte de dépit ou d’un combat acharné contre l’ennemi lui-même qui menacerait d’enlever la place. L’exaltation de la manie moralisatrice du clergyman ne s’était-elle pas produite précisément dans une pareille circonstance ?

Gabriel poussa avec précaution la petite porte extérieure du bâtiment des dépendances, dont il gardait toujours une clef en prévision de ses sorties nocturnes ; et il se trouva dans le jardin. Le jet d’eau, comme au temps de nuits plus heureuses, égrenait toujours ses fines perles dans le bassin, et c’était le seul bruit. Les chênes-verts tachaient l’ombre de leur masse opaque ; et le malheureux amant distingua les pointes aiguës et noires du bouquet de cyprès où il avait tant de fois tendu les bras à sa maîtresse. Le parfum de la nuit était aussi le même. Toutes les choses qu’il apercevait avivaient l’affreuse plaie de son cœur. La fenêtre de Lee était la seule qui fût éclairée, et il regarda d’en bas le poète, allant et venant dans sa chambre, se passant la main dans les cheveux, rejetant brusque-