Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/281

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ment la tête en arrière, enfin en proie à la grande surexcitation de l’œuvre orgueilleuse dans laquelle il espérait noyer la sourde poussée de ses appétits naturels. On le voyait venir parfois jusqu’au balcon, et là, en face de la splendide nature endormie, il semblait prendre un singulier plaisir à la défier et à arracher dans une lutte monstrueusement inégale, sa cervelle et sa chair à l’universel enchantement.

— Grand bien lui fasse, soupirait à part lui Gabriel, et tant mieux s’il y échappe !…

Il alla machinalement s’asseoir sur le petit banc de bois, au pied des cyprès, d’où il avait coutume d’épier l’arrivée de Luisa, de discerner sa silhouette claire dans l’obscurité, et de bondir à son approche. Il y sentit l’irrémédiable fin de cette vie de rêve. Le silence accentué par le menu bruit des gouttelettes d’eau tombant dans la vasque, ce silence qu’il avait tant aimé parce qu’il savait quel pas chéri l’allait rompre en faisant crier le gravier des allées ou les feuilles de l’automne, lui donna cette fois-ci, l’impression d’un désert mortel, d’un abandon général des êtres et des choses. Il eut presque peur et regarda à droite et à gauche, d’un mouvement d’enfance qu’il se rappelait avoir exécuté étant petit, quand on le faisait monter, le soir, dans l’escalier obscur. Tout aussi puérile était la réflexion qui le ranima : « Si elle venait ! se disait-il, s’il lui prenait l’idée de redescendre ici ; même pas pour moi, puisque nous ne nous y sommes pas donné rendez-vous, mais par l’entraînement de l’habitude ou par cette complaisance que l’on a parfois pour des souvenirs qui veulent revivre ! Si elle venait !… »

Hélas ! si elle venait ! ce serait encore entre eux une de ces scènes terribles où ils s’invectivaient désormais comme des ennemis acharnés, où ils ne mettaient plus