Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/284

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Mais il pensait que celle qu’il adorait, lui, s’était roulée, couverte de honte, aux pieds de cette jeune fille, et que cette jeune fille ne l’avait pas relevée et l’avait souffletée de son mépris. C’était bien dans cette attitude des deux femmes, que lui apparaissait la différence des deux sortes d’amour. Et celui des deux qui le touchait, qui était le sien, ce n’était pas celui qui se dressait la tête haute, dédaigneux et superbe, mais celui qui se courbait en rougissant, qui s’humiliait, s’abîmait, et s’enivrait de son infamie.

Cependant, il essayait de se convaincre que Luisa avait eu tort de s’abaisser, de ne pas comprendre que sa passion, à elle aussi, avait sa grandeur et sa beauté. Sa grandeur et sa beauté ! Mais elle confessait ne pas même éprouver l’amour ; et elle n’était en proie qu’à une sorte de folie luxurieuse que la nouveauté, le goût du fruit défendu, la mollesse du climat lui avait répandue dans la chair ! Et elle déshonorait bassement l’homme qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer dans son cœur ! Sa grandeur et sa beauté !… Non, non, il fallait en prendre son parti : leur amour était une misérable vilenie.

Mais tant pis ! mille fois tant pis ! c’est à cet amour-là qu’il était tout prêt à consacrer jusqu’au dernier lambeau de sa chair. Il était entraîné par une cavale furieuse, par une bête infernale qui galopait à l’aveugle dans un pays d’horreur ; tout son corps sautait, sursautait à la croupe de l’animal de cauchemar ; ses membres étaient meurtris, arrachés ; ils s’accrochaient aux cailloux, aux épines ; mais c’était cela qu’il lui fallait, rien autre que cela. Que lui parlez-vous de bonheur, de suavité, de beauté ! Mais, il se moque de ces choses ! Ce qu’il aime, c’est de parcourir les chemins derrière sa cavale, et de pouvoir, en se retournant, voir le sol que son passage