Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/283

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d’eau l’impatientait ; il eût voulu trouver la clef pour arrêter ce murmure infatigable, lié dans sa mémoire à une autre musique, et qui contribuait à la lui rendre trop vive.

Il continua de marcher dans le jardin. Là-bas, dans le fond, était le petit kiosque meublé que la nuit lui cachait. Mais, plus près, il apercevait les branches plusieurs fois tordues sur elles-mêmes du vieil olivier dans lequel on montait jusqu’à une petite plate-forme, pour découvrir le lac. « C’est là, pensait Gabriel, qu’une nuit elle oublia que c’était dans mes bras qu’elle était et qu’elle fut presque épouvantée quand je lui parlai tout à coup ! Elle revoyait la figure de son mari dans un jardin du Pausilippe !… » Et lui qui défaillait à l’idée que la chair qu’il baisait était pâmée par lui, pour lui ! Quelle misère ! quelle source de turpitudes que l’amour ! Il contient le mensonge et la trahison à ce point, que l’on s’y trahit l’un l’autre jusque dans l’étreinte !

À vingt-huit ans seulement, il avait la révélation de cela. Jusque-là, il n’avait jamais souffert par l’amour, ou, du moins, dans la douleur sentimentale de la vingtième année, il n’avait souffert que pour bénir la chère cause de son mal, et l’amour qui le faisait pleurer demeurait quand même pour lui un joli dieu, au visage sublime et plus beau que toutes les choses de la terre. Eh ! parbleu ! c’est ainsi que le voyait en ce moment-ci Solweg, cette petite fille qui s’était mise à s’éprendre de lui. Ah ! il eût eu beau jeu, celui qui se fût avisé d’aller médire de l’amour vis-à-vis de cette enfant qui en souffrait affreusement, pourtant, ainsi qu’on n’en pouvait douter. Gabriel ne la plaignait pas. Que n’eût-il pas donné pour être affecté de la même façon qu’elle, pour être fier de son sentiment, pour se sentir anobli par sa propre douleur !