Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/297

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On goûta sur l’herbe, à l’endroit précisément où les deux amants avaient été le plus touchés par la beauté du paysage. C’était au milieu de camphriers, d’arbres à thé, de houx frisés et de chênes verts. Un vieux cèdre étalait au-dessus d’eux, comme une main rigide, sa branche plate, gigantesque. On voyait Pallanza toute blanche, au travers d’une fenêtre de feuillage. À cinq heures, la grille de la grande entrée fut fermée et le bruit de fer en parvint jusqu’à cet endroit charmant.

— Ainsi, dit la petite Luisa, nous sommes tout seuls dans l’île à présent ?

— Tout seuls, avec les jardiniers.

On battit des mains, ce fut un vrai bonheur pour tout le monde de profiter d’un avantage exceptionnel.

À l’heure du coucher des oiseaux, l’air fut déchiré d’un grand vacarme, et l’on vit passer les paons qui rentraient.

Puis vint la promenade à la nuit tombante que hâte l’ombre des arbres séculaires. Dans le demi-jour, on marchait sur la couche profonde des feuilles sèches. Elles étaient en si grande abondance dans certaines allées que les pieds enfonçaient très avant et sentaient les arrière-couches déjà fermentées. Une odeur fauve s’en dégageait. À la moindre brise venue du lac, les feuilles tombaient en neige d’or voletante qui s’attachait aux chapeaux des femmes, ou se plaquait sur les corsages et jusque sur les joues en donnant la sensation d’un baiser froid, furtif et faisant presque peur. Mais, ça et là, une grande trouée s’ouvrait dans le ciel rouge du couchant, et la braise ardente des feuillages frappée par cet incendie réchauffait soudain, ranimait, faisait rire quelqu’un sans qu’il sût pourquoi.

On joua à cache-cache. On se perdit.

Gabriel se trouva vis-à-vis de Luisa au hasard du