Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/307

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Quant à ceux qui n’allaient point à l’Isola Madre, ils éprouvaient un instinctif besoin de contempler au moins de loin la figure désormais sinistre de l’île qui contenait cette nuit le corps inanimé de la Carlotta.

L’allée qui longeait le bord de l’eau, en face de l’Isola Madre, se trouva garnie d’une foule compacte. On avait fait apporter des sièges en quantité, et tous les pensionnaires de l’hôtel étaient là, animés de l’étrange curiosité que donne le voisinage de la mort.

Le révérend Lovely était en proie à une agitation inaccoutumée. Il allait et venait ; s’introduisait dans un groupe comme s’il allait prendre la parole ; ouvrait la bouche, puis la refermait, et partait, pour recommencer le même inquiétant manège. Quelques jeunes femmes se le montraient du doigt, et un éclat de rire léger fusait tout à coup au milieu de la pesante contenance générale.

— Qu’est-ce qu’a donc notre révérend ?

— Personne ne le sait !… On dit qu’il n’aimait pas la Carlotta.

— Alors c’est de la joie ?…

— Non, non ! il paraît au contraire très peiné !

— Vieil hypocrite !

— Oh ! je vous assure que ce n’est pas un mauvais homme !

— Est-ce qu’on sait jamais, avec ces mines-là !

— N’est-il pas amoureux de Mme de…

— Chut ! la voici ; elle fait une drôle de tête elle aussi, on dirait qu’elle a perdu quelqu’un de sa famille.

— Quand on pense que sa petite sœur était là-bas, et qu’elle a vu le cadavre ! Pourvu qu’elle ne soit pas retombée malade !

— Chère petite !

— Oh ! celle-là, c’est un ange !