Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’est-ce exactement que la réalité, dans le monde ? À quel point précis se différencie-t-elle du rêve ?

Maintenant, il avait disparu, le joli dieu des îles et du lac. Jamais plus aucune de ces rives ne recevrait l’image de sa beauté, ni ses fleurs, ni ses chansons ! Le vent sévère de l’arrière-automne allait disperser les mille parcelles desséchées des ombrages que son charme avait pénétrés. Tout allait se faner, se dénuder et mourir ; tout ce pays serait prochainement dépeuplé. Les îles Borromées étaient sans âme.

Tout à coup, il y eut un mouvement dans les groupes, et l’on entendit s’élever la voix du révérend Lovely. Ce fut une surprise si grande, et ce qu’il se mit à dire était si extraordinaire que chacun se demanda si l’on devait rire ou si l’on assistait à une de ces scènes telles que la foi religieuse ou la passion élevée jusqu’à la démence peuvent seules en provoquer.

Le révérend parla de la jeune morte sur le ton qu’il eût employé au prêche du dimanche, quand il prenait texte d’un fait divers quelconque pour en tirer une morale pratique. Puis il passa rapidement aux bruits qui avaient couru sur le compte de la pauvre fille, sur de prétendues liaisons scandaleuses, dont nombre de personnes avaient pu être incommodées.

On s’approchait ; on se poussait le coude. Plusieurs trouvaient l’allusion un peu violente. En vérité, c’était manquer de tact. Mme Belvidera, que ses intimes émotions étouffaient, faillit se trouver mal à ce surcroît d’épreuves pour le malheureux jeune homme qu’elle plaignait. Dompierre était devenu pâle de colère.

Mais soudain l’anxiété générale vira, à la plus inattendue des révélations.

Le révérend affirmait, du ton et du geste de la plus forte conviction, que les bruits qui avaient couru étaient faux, que Carlotta était honnête, et qu’elle était morte