Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/323

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l’immense tristesse qui avait envahi le paysage. Le lac était à demi voilé, les îles invisibles. Gabriel noyait sa pensée dans le deuil de la nature ; et le vent qui chassait la pluie en nuages grisâtres rasant la surface de l’eau, semblait promener sur cette désolation les formes mêmes de sa mélancolie.

Il ouvrit machinalement la porte du salon de lecture et eut un mouvement de surprise en y trouvant Solweg. Il avait tant souffert depuis la veille que le souvenir de la scène muette qui s’était passée entre la jeune fille et lui, lui avait échappé. Il avait oublié jusqu’à cette vivante tendresse dont le contact lui avait été cependant comme un pansement frais sur une blessure. Il l’éprouva de nouveau en recevant le premier regard qu’elle lui donna.

— Ah ! fit-il, mademoiselle, comment allez-vous ?

Elle était assise, dans le jour de la fenêtre. La chair délicate de son visage, les alentours extrêmement sensibles de ses yeux manifestèrent une émotion vive en même temps qu’une rapide et ferme résolution. Cette petite tête solide et volontaire avait jugé d’un coup qu’elle pouvait, par un seul mot, donner une consistance inespérée au lien encore lâche et fragile qui l’unissait au jeune homme. Elle ramassa tout son courage, et le regardant avec toute l’admirable franchise de ses yeux qui n’étaient plus d’une enfant malheureuse, mais d’une femme qui a conscience de sa force, elle répondit simplement à la question qu’il lui adressait sur sa santé :

— Et vous ?

Elle assista vaillamment à l’effet de la surprise qu’il éprouvait. Par cette interrogation, elle jetait bas tout masque conventionnel, toute retenue de timidité ; elle s’emparait pour pénétrer en lui des armes que le hasard des circonstances lui avait fournies contre le secret de