Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/325

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de toute l’éloquence de ses traits bouleversés, de toute son attitude épuisée, fléchissante, et de sa main, enfin, dont il n’osait presser la fine main tremblante que lui avait tendue la gracieuse sœur de charité.

Ils restèrent ainsi quelques secondes qui leur parurent longues, les mains unies, et sans parler.

Cet instant imprévu était définitif pour l’un et pour l’autre. Solveg en pressentait toutes les conséquences futures avec un ravissement intime, et lui, avec une surprise hébétée, un ahurissement naïf, une sorte d’accablement ni heureux, ni pénible, tel qu’en éprouvent la plupart des hommes en se laissant plier à la logique des choses qui a remplacé chez les modernes l’antique Destin.

Que dire ? Il y a des moments où les mots ont trop de sens, où le moindre chuchotement a des résonances de fanfare. Ils refoulaient tout ce qui leur montait aux lèvres. Il voulait dire : « Mais non ! pauvre petite, c’est impossible ! vous sentez bien que je ne vous aimerai pas !… » Elle voulait lui dire : « Je vous aime ! je vous aime ! et je serai si heureuse en continuant de souffrir par vous !… » Pourquoi ne lui avouait-il pas : « Je suis un lâche : j’ai aimé, j’aime encore et j’aimerai sans doute toujours une femme que vous avez tenue sous vos pieds, et je ne vous prendrai, vous, que parce que vous êtes la seule qui puissiez soigner convenablement ma douleur… » Elle lui aurait évidemment répondu : « Je vous aime ! Nous autres femmes, nous aimons les lâches comme les héros, quand nous aimons. »

Ils se taisaient.

Par contenance, ils tournèrent la tête du côté de la vitre que la pluie battait. On n’apercevait que les feuilles ruisselantes des fusains et des lauriers-cerise et les grands glaives tordus et flamboyants des aloès