Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/34

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assez pauvrement. On n’entendait guère que le bruit monotone de la cuiller et de la glace choquant les parois des verres. À un piano éloigné, quelqu’un, d’un doigt languide, frappa deux ou trois notes, et l’on commença une sérénade, interrompue aussitôt. Une sorte de torpeur générale arrêtait tous les mouvements.

Au fond des jardins, le tonneau d’arrosage faisait sa promenade lente sur le gravier, et, dans le silence, on percevait sous les roues, le faible crépitement que semble apaiser et éteindre à mesure la bonne ondée demi-circulaire. Vers le nord, les montagnes avaient disparu presque totalement sous la brume de chaleur ; le lac paraissait sans bornes, et de petites voiles blanches donnaient l’illusion de la mer.

Gabriel évitait de parler de sa passion au poète ennemi de l’amour ; mais tous les détours qu’il prenait pour contraindre sa préoccupation, devaient naturellement contribuer à la mettre plus clairement en évidence. Ce fut ainsi qu’au moment où il vit l’Italienne paraître et s’asseoir, oppressé par la pesanteur voluptueuse que sa présence lui causait, il dit à son ami :

— Ce qu’il faudrait ici, durant ces heures lourdes où toutes les lignes du paysage sont évanouies dans l’atmosphère, où le monde et les choses semblent fondus en une véritable pâte sirupeuse dont le contact vous étouffe, où un vague besoin d’anéantissement, de dispersion éperdue, vous fait haleter, attendre on ne sait quoi ; ce qu’il faudrait, voulez-vous le savoir ? Une poupée ! Oui, un petit brin de femme, maigrichonne au besoin, mais vive et sautillante, ni tout à fait jolie, ni tout à fait sotte, mais, grand Dieu ! pas trop intelligente non plus ; pas votre femme, encore moins votre maîtresse ! Mais quelqu’un, par exemple,