Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/44

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que tout homme rêve à son clocher. Lee demeura glacial. Pourtant il dit entre ses dents :

— Je connais surtout l’Espagne et l’Abyssinie…

Mme Belvidera crut devoir prévenir Mme de Chandoyseau que le monsieur était un original.

Cette parole tomba comme de l’huile sur le feu, et, en face de la tête glabre et immobile de l’Anglais, Mme de Chandoyseau se livra à une improvisation qui eût déridé toute espèce de créature vivante, hormis celle précisément en l’honneur de qui elle était faite. Elle devina qu’il était un grand artiste ; elle dit qu’il ressemblait à William Morris qu’elle avait visité à sa maison de Kelmskolt.

— Qui est-ce que ce Mr William Morris ? demanda tout à coup Lee, qui n’avait pas ouvert la bouche, et du plus grand sérieux.

— Ha ! fit Mme de Chandoyseau qui faillit se pâmer, délicieux ! adorable !… Il ignore l’Angleterre et William Morris… Mesdames, dit-elle en s’adressant tout autour d’elle, voilà l’homme le plus charmant que j’aie vu ; c’est l’esprit le plus extraordinaire !…

Et elle décrivait à tort et à travers, à qui voulait l’entendre, les tapisseries décoratives, les papiers peints, les cretonnes et jusqu’aux poèmes dont le célèbre préraphaélite William Morris dota l’art contemporain.

Lee s’étant retiré, chacun fit son éloge ; on ne tarissait pas en expressions laudatives. On demanda à Dompierre toutes sortes de renseignements sur lui.

— C’est un grand homme, dit simplement celui-ci.

La sobriété de cette expression exalta l’enthousiasme tout préparé en faveur de cet être qui ne parlait presque point et était à peine poli. Tout le monde se retourna pour le regarder s’éloigner du côté du lac.

— Tenez, dit Dompierre, en penchant un peu la tête