Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/49

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regarde simplement avec plaisir, comme on le fait par exemple pour ce beau paysage…

— C’est une petite femme délicieuse ! dit Mme de Chandoyseau d’un ton de supériorité indulgente.

Puis elle toisa Mme Belvidera et le jeune homme. On vit poindre une lumière dans la goutte d’eau grisâtre de ses yeux. Évidemment elle les jugeait aussi niais l’un que l’autre ; Mme Belvidera pour n’être pas enflammée par les arts, et lui, parce que n’étant ni peintre ni poète, il ne faisait seulement pas profession d’être dilettante. Elle en éprouvait tout le plaisir secret qui peut affecter les femmes de son espèce, chez qui la vanité compose toute la vocation artistique.

Et s’adressant à Dompierre avec un soupir, et sur le mode désespéré que prennent messieurs les professeurs aux examens, en faisant la grâce d’une dernière question au candidat jusque-là malheureux :

— Monsieur, aimez-vous la musique ?

— Je n’en suis pas bien sûr, car je ne me sens parfaitement heureux qu’en entendant de la musique comme celle qui nous arrive de là-bas, du milieu de la nuit, sans doute sur une barque voguant au clair de lune.

— Ah ! fit Mme Belvidera, en se relevant soudain, c’est la belle Carlotta ! c’est la belle Carlotta !

Et elle raconta avec toute la chaleur de son franc enthousiasme l’épisode de la rencontre sur le lac, avec la marchande de fleurs des Borromées.

— Bien ! bien ! ma chère belle, fit Mme de Chandoyseau. Eh bien ! allons-nous du côté du lac, entendre cette musique qui ravit Monsieur Dompierre ?

M. de Chandoyseau acquiesça de la tête ; on se leva. Mme de Chandoyseau eut l’œil piqué d’une nouvelle flamme en regardant l’Italienne et Gabriel debout l’un près de l’autre. « Voilà deux gaillards, pensa-t-elle,