Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/54

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— Oui, oui, il y a des moments où l’on oublie les conditions de la vie et où l’on touche la vie elle-même dans sa plénitude, comme un résultat merveilleux… D’ailleurs on ne sait pas, non, on ne sait pas ce que c’est ; on ignore ce qui vous passe par la chair et par la cervelle…

— Ça passe…

— Chut !

— Taisons-nous, vous avez raison.

Ils prirent le chemin du palais Borromée par où l’on gagne les jardins.

Il s’effaçait pour laisser passer la jeune femme sous les portes chargées outre mesure de vignes-vierges, de lierres et d’une pesante chevelure de lianes aux floraisons inconnues. Parfois il devait lui donner la main en la précédant, pour écarter les végétations encombrantes. D’autres fois il lui arrivait de la laisser faire quelques pas en avant, parce que ce qu’il avait voulu lui dire au moment où elle passait tout contre lui, expirait sur ses lèvres. Au reste, qu’a-t-on à dire dès que l’on aime ? Mais la beauté de sa taille et de ses mouvements l’accablait particulièrement. Elle était grande et développée ; mais mince à la ceinture et aux attaches ; ses gestes avaient de la lenteur et de l’aisance ; son visage était calme et heureux ; il semblait que ses yeux eussent la faculté d’adoucir les gens et les choses, et que tous ses environs reçussent d’elle on ne sait quelles facilités, quels contours arrondis, ou quelque chose de comparable à la caresse générale, tiède et savoureuse d’un bain.

Elle escaladait sans fatigue les terrasses superposées ; empruntait une sorte de légèreté au maniement de son ombrelle blanche, et, se retournant de temps en temps, elle disait, dans le pur éclat de son bien-être :