Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/58

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la première troupe de nos trouble-fête qui s’avance là-bas sous la conduite d’un jardinier.

— Ils vont venir là ?

— Certainement, c’est d’ici qu’on leur fait voir le profil de Napoléon couché sur la montagne…

— Où ça ? où ça ? fit-elle.

— Ah ! ah ! vous aussi, dit-il, en riant de ce genre de curiosité. Et il lui fit voir le profil de Napoléon. Elle se haussait sur le bout des pieds. Tout en riant, il la trouvait adorable.

— Je suis enfant, dites ?

— Mais non : femme, simplement.

— Ah ! trop ! trop ! dit-elle avec un gros soupir et l’embrassant avant de se mettre à courir pour éviter la troupe des touristes.

— Où allez-vous ?… mais vous allez tomber sur eux tout juste par là !…

— Par où faut-il aller alors ?

— Venez, venez de ce côté !

Ils descendirent quatre à quatre des marches et des marches ; d’autres oranges tombaient à la secousse du sol, et leur roulaient sur les talons.

— Ne riez donc pas ! mais ne riez donc pas ainsi ; vous allez vous couper le souffle !

La chaleur et la course rosaient la peau de ses joues habituellement mate, et sur les tons de paille, illuminés de soleil de la garniture intérieure de l’ombrelle, sa figure prenait une extraordinaire animation. Par le simple caprice de fuir les touristes, elle se faisait une peur terrible de les rencontrer et, à chaque tournant d’allée, poussait des cris. De grands lézards se précipitaient affolés derrière les espaliers. Elle écrasait du pied les extrémités débordantes de lourdes plantes grasses. Les colombes avaient repris leur vol tournant et semblaient jouer comme eux.