Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/73

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l’Hôtel de la Ville où il y a un portier qui ressemble à M. Casimir-Perier, en un peu moins distingué, mais plus savant, certainement, car je me suis amusée pendant vingt minutes à l’entendre parler anglais à droite, allemand à gauche, italien en se retournant du côté d’un facchino, tout ça pendant qu’il nous donnait en très bon français toutes sortes de renseignements sur l’heure des trains. Je ne voulais plus sortir, tant j’avais de plaisir à voir ce portier, quoique Antonius voulût me faire voir le Dôme au clair de lune.

— C’est la première fois que vous voyez l’Italie, mademoiselle ? demanda Dompierre à la jeune fille qui était si admirative du polyglottisme d’un portier d’hôtel.

— Oh ! oui, monsieur ! fit-elle.

Il voulait s’efforcer de la faire parler, à cause de l’ardent désir qu’il avait de savoir qui elle était. Il épiait sur sa figure, non pas tant l’effet du sens de ses questions que celui que pouvait lui produire le fait de s’adresser à elle. Lui était-il antipathique ? quelle impression avait-elle aussi de Mme Belvidera ? Elle les reconnaissait évidemment ; ses grands yeux bleus conservaient l’image qu’ils avaient formée dans la grotte lorsqu’il soutenait d’une main la taille de l’Italienne, et que, de l’autre, il éloignait ses lèvres. Quelle sorte de tumulte cette image produisait-elle dans son jeune cerveau ? Il épiait le moindre de ses mouvements au son de sa voix ou de la voix de Mme Belvidera. Il espérait qu’une question brusquement posée à propos de n’importe quoi, que le seul mot de « mademoiselle » par exemple, à elle adressé soudain, de la part de l’un ou de l’autre des deux amants, allait lui révéler son secret par le tressaillement de sa paupière. Il allait jusqu’à chercher son regard ; il eût été jusqu’à mettre dans le sien du cynisme, pour en éprouver le résul-