Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/72

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— Dites donc ! dites donc !

— Eh bien ! figurez-vous que mistress Lovely vint avec moi hier à l’église catholique, pour m’accompagner simplement, bien entendu. Or il y a dans cette église un petit tableau de la primitive école lombarde que l’on nous indiqua comme une curiosité. C’est un Adam et Ève ; oh ! mais peint avec une conscience, un scrupule des détails, une minutie, une exactitude, enfin tel que l’on est gêné, je vous le dis franchement. Mistress Lovely pinça les lèvres ; je crus qu’elle était choquée et je m’attendais à ce qu’elle se lançât dans une violente diatribe contre ces pauvres catholiques un peu grossiers dans leurs images. En effet, elle me dit en haussant les épaules : « Ces gens-là sont stupides, very stioupid : Adam et Ève n’avaient pas de nombril ! »

J’en suis restée moi-même stupide, very stioupid ; si je m’attendais à la trouver courroucée, ce n’était pas pour une inexactitude !

— Cela indique un sens approfondi de l’Écriture en même temps qu’un esprit observateur et fortement plié à la logique. Vous nous ferez connaître mistress Lovely ?

— Comment donc !

— Herminie ! voyons, est-ce que c’est bientôt fini ? soupira M. de Chandoyseau en fichant un coin de sa serviette dans la large échancrure de sa chemise de flanelle blanche ; ma chère amie, je meurs de faim, et Solweg a passé la nuit en chemin de fer…

— Mais non ! mais non ! interrompit Solweg, dont l’organe était assez agréable, je n’ai pas passé la nuit en chemin de fer !

— C’est ta sœur qui me l’a raconté, fillette ; à moins qu’elle n’ait pas compris ce que tu lui as dit…

— Elle n’a pas compris ce que je lui ai dit : nous sommes arrivés à Milan hier soir, nous avons dîné à