Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/80

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fraîcheur, pour comprendre l’effet curieux de la brise tiède et odorante qui passe lentement et semble s’attarder avec insistance autour de votre visage. Il n’avait senti ceci nulle part ailleurs que dans ce pays…

La première fois, ç’avait été lors de son arrivée sur la Reine-Marguerite, dans l’instant où la cloche annonçait la station de Baveno et où il partageait son attention entre l’admiration de la « Sirène » nouvellement apparue, et le spectacle des mille lumières trouant le feuillage des jardins. C’était au moment où cette impression se renouvelait pour lui, et dans une barque pareille à celle où il était dans ce moment-ci, un soir de ciel couvert et d’obscurité pesante, que la même « Sirène » était tombée dans ses bras.

Cela était arrivé après huit jours d’une guerre terrible où il n’avait pas laissé une minute de répit à la malheureuse qu’il avait sentie perdue tout d’abord, mais qui se défendait avec l’intrépidité d’un naufragé, s’accrochant de-ci de-là, à tout ce qui avait une apparence de la pouvoir garantir du précipice où elle se sentait attirée par une puissance invincible. Elle avait eu des crises d’amour affolé pour sa fille ; elle l’embrassait à toute heure. Elle avait passé des journées sans descendre de sa chambre ; mais pouvait-elle ne pas aller jusqu’à la persienne close où elle apercevait, au travers des jours étroits, la figure bronzée, coupée par la lumière de la barbe blonde et les yeux clairs du jeune homme, qui imploraient si passionnément ? Alors elle redescendait ; elle retombait sous le charme de cette parole discrète, voilée, mais toute tremblante et toute brûlante, et d’une si évidente sincérité. Encore cela n’aurait-il rien été peut-être, mais tout s’en mêlait : l’air, le pays, les parfums, la musique, l’eau, les barques, les promenades, c’était un tourbillon,