Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/86

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grands yeux : « Mais rien, rien du tout !… seulement, je n’aurais pas cru ».

— Luisa, voyons ! pourquoi me racontez-vous tout cela ?

— Pourquoi ? pourquoi ?… mais je ne sais pas, moi non plus. C’est peut-être parce que j’ai un certain plaisir à savoir que vous plaisez ; c’est peut-être parce que je suis un peu jalouse…

— Luisa ! Luisa ! c’est absurde ! où as-tu la tête, ma chérie ?…

Elle le prit dans ses bras, le serra avec une tendresse désordonnée. Il crut qu’elle avait déjà cette inquiétude un peu folle des premiers temps de l’amour, où l’on se connaît mal, où l’on croit que tout le monde va vous prendre votre nouveau trésor.

— Mon mio ! mon mio ! répétait-elle.

Il cherchait des termes pour la rassurer ; il lui semblait que la franchise de sa passion unique éclatait sur sa figure, était sensible au moindre de ses gestes. « Mon Dieu ! que vais-je lui dire pour qu’elle n’emporte pas ce soir un doute sur mon amour, après les preuves d’amour qu’elle me donne, elle, et après qu’elle est venue là, si loin, toute seule dans la nuit, malgré sa grande fatigue ? » il s’exténuait à trouver quelque chose de fort, de simple, de très sincère.

Elle avait la tête appuyée sur son bras ; ses yeux regardaient fixement devant elle. Ses cheveux relevés par une caresse découvraient son front pensif. Il était sûr qu’une idée la tourmentait.

— Luisa, Luisa ! lui dit-il, à quoi pensez-vous ?

— Je pense, dit-elle, à cette grande pointe de la lune dont tu m’as parlé, et que je ne vois toujours pas…

Et en achevant ces mots, ses paupières tombèrent, et elle s’endormit.